Une victime.


Comment n'y avait-elle pas pensé avant?

Je suis née avec un statut de victime que j'ai traîné pendant des années sans savoir que j'étais victime, j'avais à peine une minute et j'étais déjà étiquetée "victime". Je suis passée dans toutes les étapes de ma vie "victime" et rien n'est venu perturber cette douce habitude. J'ai subit tout ce qu'une victime peut subir, viol, manipulation, vol, spoliation, une famille de trois générations d'alcooliques et des amis alcooliques, enfin pas des amis, des connaissances, ça fait des ravages. Quand j'ai été épuisée de ce rôle, qui me donnait physiquement une ribambelle de symptômes me menant à la mort inéluctablement, lorsque je n'ai plus pu bouger, je ne sais pas où j'ai lu cela où si c'est ma puissance supérieure de l'époque mais j'ai entendu: « Comprends ou tu seras dévorée... c'est tout ». Je n'avais jamais tenté de me débattre, je me laissais voler, violer et maltraiter car je ne savais pas que ça ne se faisait pas. J'étais seule, désespérée et la seule approche possible avec les autres était une attitude de soumission face à cet inéluctable avenir de victime. Je me suis cru intelligente parce que j'avais réussi à faire un peu d'étude et trouver un travail, je l'étais sûrement bien que n'ayant eu aucune éducation autre que celle de gens alcooliques ne laissant jamais leur part aux autres. Donc je me voyais à l'aube de pouvoir changer ma vie et du statut de victime innocente je suis passée au statut de victime plus innocente du tout, mais ma vie était ingérable.

Je ne pouvais approcher personne et je ne voulais pas entendre parler de moi. Je mettais toute mon énergie à m'ignorer et à ignorer de quoi j'étais faite et ce que je contenais. J'avais quand même fait une liste de constats de carences, comme je l'appelais, j'avais dû entendre quelque part ce terme qui signifiait ce qu'il me manquait: il me manquait TOUT, mais je ne savais pas quoi. Pourtant je le savais, qu'il me manquait des choses, mais j'ignorais ce qu'il fallait que j'aille chercher...

Il me restait suffisamment de force pour aller chez le psy dont j'avais entendu parler. J'ai découvert qu'avec ma multitude de problèmes en tous genres, je n'avais pas été épargnée. J'ai reconnu mon statut de victime très tard, en fait il y a seulement quelques années. Je pourrais même dire que la prise de conscience m'est venue il y a seulement quatre ou cinq ans. Lorsque j'ai lu la littérature al-anon en 1995, voire même 1999, je croyais que j'avais encore un rôle à tenir: celui de sauver les autres, ceux qui m'entouraient. Je m'y suis attelée et j'ai réussi, pour ça je me dis : bravo. Quand j'essaie d'imaginer : «Si j'avais "su" me rétablir avec le programme, que je pratiquais seule à ce moment là, qu’est-ce que cela aurait donné ?». Je ne le sais pas, je ne l'ai pas fait! J'ai réussi, malgré tout, à me sauver moi-même et mes meubles. Cependant, depuis, j’étais très mal et je pensais, il y a encore deux mois, que je trouverai une solution pour un tel ou tel autre, et c'est anéantie que je suis arrivée en al-anon pour recommencer le programme avec vous. Je pense que j'ai vraiment touché le fond à ce moment là et j'ai eu envie de m'en sortir.

Depuis le mois de décembre, je me suis mise dans le programme. Je suis mûre pour le pratiquer. J'ai enfin accepté d'avoir eu un statut de victime, j’ai fait ma première étape. Une envie folle de me rétablir émotionnellement m’a poussé à ne plus être victime et ce fut un soulagement, j'ai pu retirer de mes épaules un poids énorme. "Je ne suis responsable de personne... juste de moi". Des fois je me répète cette phrase comme un miracle. Que n'y avais-je pensé avant? Mais avant je fuyais! Aujourd'hui je ne veux plus fuir, mais je fuis encore, je suis encore dans la violence de ce que j'ai dû subir, je souhaite me rétablir, et j'ai du plaisir à le faire, je suis curieuse. Je vais bien aujourd’hui, bien que j’aie encore des crises de larmes quand je sens l'humiliation monter. Ma volonté me pousse encore à contrôler parfois ce qui peut m'arriver, quand j'ai peur.

Je suis au début de mon rétablissement. Je suis heureuse d'être al-anon, avec vous qui m'apportez tant. Je vous lis inlassablement et je sais que c'est ça ma méditation. Je vois ce que je peux changer et je confie à ma puissance supérieure ce que je ne peux pas changer. Je veux m'imprégner de ces mots si doux qui me font tant de bien.

05 / 02 / 2005


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